Marlène

C’était mon titre favori de Noir Désir. Combien de fois ai-je écouté cette chanson dans la pénombre de ma chambre ? Noir Désir j’ai grandi avec, j’ai vibré, aimé et pleuré sur du Noir Désir. C’était ce groupe dont les textes te prenaient littéralement aux tripes, qui te filaient la chair de poule. C’était très impactant pour l’adolescente que j’était. Et puis le chanteur a tué un être humain.

Depuis plusieurs jours je lis les commentaires sur « Est-il légitime pour Bertrand Cantat de se retrouver à la Une des Inrocks?  » « Est-il légitime de le laisser s’exprimer? » « Peut-on faire le distinguo entre l’homme est l’artiste? ».

Je lis beaucoup de commentaires, je lis énormément de choses choquantes.

Oui Bertrand Cantat a été condamné, il a purgé sa peine. Il vivra jusqu’à sa dernière heure avec le poids de cet homicide. C’est son karma. C’est le prix à payer quand tu ôtes la vie de quelqu’un, ce n’est pas un acte anodin. Bertrand Cantat chante toujours, il est chanteur pas plombier, jusque là ça se tient. A-t-il le droit de faire la Une d’un magazine musical? Je ne suis pas juge, mais je n’ai aucune envie de lire cet article. Je me fous de l’actualité musicale de Bertrand Cantat, de sa vision du monde. Je n’ai pas envie de voir son visage d’ange déchu en Une de quoi que ce soit. Parce qu’il a tué un être humain et même si il a payé sa dette à la société, il ne m’intéresse plus.

Je ne sais pas quels sont les droits légitimes de Bertrand Cantat. Ce que je sais, c’est qu’un homme a battu une femme et qu’il l’a laissée agoniser jusqu’à ce que mort s’en suive. Ça n’aurait pas été une actrice, ça aurait été la même chose. Si il avait été plombier, peine purgée ou non je ne suis pas sûre que je l’aurais laissé réparer une fuite chez moi. Je crois en la réinsertion, je crois à la rédemption, mais visiblement j’y crois plus sur le papier. Je suis suis un être humain, c’est comme ça. Il n’a pas volé une banane, il a prit une vie A COUPS DE POING. Moi j’ai déjà prit des coups de poing, tu en reçois un, tu te demandes comment tu vas te relever. Alors je ne veux pas penser à l’agonie que cela peut-être de les recevoir en rafales et d’y succomber. C’est au-dessus de mes forces.

Quand j’entends Un homme pressé je me surprends à connaitre encore les paroles par coeur. C’est une chanson du passé. Quand cette chanson passait sur les ondes, la femme qu’il a tué à coups de poing, elle respirait, créait et interprétait. Elle aussi était une artiste. Quand je pense à sa mort, je ne dissocie pas la femme de l’artiste. Elle c’était une victime et lui c’est son meurtrier. Le génie n’a rien à voir avec cela. Qu’elle ait été actrice ne rend pas sa mort plus ou moins révoltante. C’est révoltant.

On vit une drôle d’époque. Où les artistes ont une forme d’immunité. Le viol, la violence, l’homicide, le harcèlement, la pédophilie. Cette immunité semble sans limite. C’est la loi naturelle du talent sur celle des hommes. Je suis une bonne graphiste mais si demain je bute quelqu’un, que j’ai tiré ma peine ou non, personne ne s’extasiera sur mon travail et c’est normal. Le talent ne l’emporte pas sur la violence. On ne peut pas mettre en balance Tess de Roman Polansky avec ce qu’a traversé Samantha Geimer. Le calvaire de Samantha Geimer l’emporte sur toute l’oeuvre de Polansky. Point.

Alors oui, Bertrand Cantat a payé. Il a le droit de travailler, de promouvoir son travail et moi, j’ai le droit de faire comme si il ne faisait plus parti du paysage musical. Je ne sais pas quels sont les droits légitime de Bertrand Cantat, mais Bertrand Cantat et sa musique ont perdus le droit de m’émouvoir.